jeudi 31 mai 2018

été 2018, jours 8-9/79

Moment fort : concert de Stockhausen au Zeiss-Großplanetarium. Voir plus bas.


Un dernier matin sur le balcon de Flatter, qui est revenu hier et à qui je remets sa chambre dans quelques heures, gracieusement prêtée, hôte de mes premiers jours de retour. Je salue aussi Joseph, coloc sympathique, que je n'ai pas trop vu finalement, étudiant en Geoökologie (la géoécologie, wikipédia m'informe que ça n'existe comme matière qu'en Allemagne et en Russie). Je déménage chez Achim, ami de Flatter, que je connais aussi depuis 2015-2016, dans le quartier Alt-Treptow pas très loin d'ici.
Vue du balcon de Flatter, au 3e étage, ça donne une idée de la hauteur des arbres

29.05

Voici mon violoncelle pour l'été. Je l'ai essayé et tout de suite j'ai dit que je ne tombais pas en amour. Il sonne bien, il répond bien, et je suis quand même très satisfait. En accord avec moi, la luthière m'a dit que c'est un violoncelle qui t'amène du point A au point B. Kin!
Violoncelle très rouge, dans la chambre de Flatter
après une très bonne première pratique

J'ai dû passer plus de trois heures dans l'atelier de Julia Dimitroff, qui était vraiment contente de me revoir après tout ce temps. Son nouveau logo est vraiment beau.
Elle a cette sincérité des gens qui travaillent par passion, et notre rencontre s'est passée exactement comme je l'avais prévu : on a jasé de nos vies dans sa cuisine, on est sorti prendre le thé dans sa cour intérieure, j'ai essayé les violoncelles qu'elle avait en stock, on est passé à l'atelier et elle m'a montré des extraits d'un concert donné exclusivement sur ses créations (violon bleu, violon rouge, alto, deux violoncelles), enfin on a joué un canon de Haydn ensemble avant que je parte. Je lui ai remis une copie de mon album solo D'éclisses, enregistré sur un violoncelle surnommé das Berger, qu'elle avait complètement restauré et qu'elle a vendu depuis. J'aime beaucoup Julia Dimitroff, c'est une battante, elle n'oublie jamais d'où elle vient et sait précisément pourquoi elle fait ce qu'elle fait.

Les deux violoncelles « pro » fabriqués par Julia Dimitroff, en pleine action


Je suis arrêté voir le concert de Liz Allbee en revenant de l'atelier. En retard, je n'ai eu droit qu'à quelques minutes de concert. Une autre battante celle là, une des meilleures musiciennes improvisatrices que j'ai jamais vues, elle joue de la trompette qu'elle augmente souvent d'un dispositif d'électroniques et de sons préenregistrés. C'est une amie de l'artiste visuelle Uta Neumann, celle qui a pris la photo de couverture de mon album solo D'éclisses. Moment de hasard : le concert avait lieu à deux portes de mon premier appartement en juin 2008 sur Forster Straße.


30.05 Le concert de Stockhausen

Les yeux plein d'eau à l'entracte, par où commencer? Voici une musique qui me rejoint profondément, qui vient me chercher dans le corps en même temps qu'elle active tout ce que j'ai de neurones, une musique qui m'impressionne, que j'admire, et l'écouter dans ce contexte était un privilège dont je me rendais compte à chaque instant. Je suis sorti du concert avec une nouvelle vision des choses qui m'entourent — faut le faire  une espèce d'admiration pour la complexité, qui s'est tout de suite transportée de mes oreilles au reste de mes sens : la disposition des feuilles sur cette branche d'arbre, leurs différents angles par rapport à l'axe du tronc; le fuchsia de ces roses et la densité de leurs groupements technicolors près du sol brun à l'heure bleue; les couches d'air et leurs températures distinctes; l'arrivée lointaine du métro qu'on entend, la géométrie changeante des gens qui y entrent, se tiennent immobiles et repartent. Je sens que je peux faire appel à cette forme d'hyper-conscience n'importe quand maintenant. Quel concert!
Le Zeiss-Großplanetarium

Au programme : Telemusik (musique préenregistrée, version pour 5 hauts-parleurs), Aries (pour trompette et musique préenregistrée), Cosmic Pulses (musique préenregistrée, diffusion sur une cinquantaine de hauts-parleurs disposés en cercle autour de l'auditoire).


Telemusik

Je connais bien cette pièce, je l'ai en vinyle depuis au moins 10 ans, je l'ai écoutée très souvent, j'ai lu la description et l'analyse partielle qu'en fait Stockhausen dans ses Texte zur Musik, etc. Mais voilà qu'elle se présentait à moi de façon nouvelle. Dans sa courte présentation, le directeur artistique du concert Frank J. Schäpel a insisté sur deux éléments, ou peut-être que c'est tout ce que j'ai compris, ou extrapolé par mes lectures précédentes, de son discours en allemand. Premièrement, l'idée de base de Telemusik, qui revient dans plusieurs autres pièces de Stockhausen (en particulier la massive Hymnen), est de faire une musique dans laquelle se rencontrent toutes les cultures du monde; deuxièmement, l'utilisation d'un moyen technique nouveau à l'époque, le ring modulator.

Aparté théorique (prof de math un jour, prof de math toujours) : un ring modulator prend deux sources de son et retourne leur somme et leur différence sans les sons originaux. Par exemple, si j'envoie une fréquence de 440 Hz (la note « la ») et une fréquence de 554 Hz (la note « do dièse » à peu près), le résultat est la somme 440+554 = 994 Hz (entre « si » et « do » aigu) et la différence 554-440 = 114 Hz (entre « la » et « si bémol » grave). Partant d'un intervalle connu et harmonieux du système chromatique (tierce majeure « la - do dièse »), j'arrive donc à un intervalle dissonant qui n'a plus rien à voir avec le système traditionnel. Note : une fréquence x qui rencontre le silence (0 Hz) reste inchangée car + 0 = x et - 0 = x. Note : dans la vraie vie, une fréquence n'arrive jamais seule, c'est ce qui fait la couleur des sons, alors c'est tout un pain de fréquences qui entrent de part et d'autre du ring modulator avant d'être additionnées et soustraites les unes des autres.

Aparté conceptuel : si l'idée de Stockhausen est de marier les cultures existantes, les célébrer tout en créant de nouveaux rapports entre elles, le tout dans un écrin de ce qu'il y a de plus avant-gardiste pour l'époque, alors l'utilisation du ring modulator est un outil techo-conceptuel puissant. Par exemple, les deux sources à entrer dans le ring modulator pourraient être un extrait de musique traditionnelle japonaise (Stockhausen a composé Telemusik lors d'un séjour à Tokyo) et une fréquence sinusoïdale fabriquée en studio. Le résultat? Un nouveau passage sonore qui transcende les deux sources. La pièce se passe dans les aigus pas mal!



Tout au long de la pièce, du moment qu'on a un peu l'oreille pour le ring modulator, on reconnaît son utilisation et on cherche quels sons peuvent être à l'origine des sons entendus. Ce n'est pas tout. Se mêlent à ça des extraits des sons originaux non traités (qui ne passent pas par le ring modulator) et... le tout est composé de façon à provenir de cinq hauts-parleurs disposés autour de l'auditoire. Contrairement à d'autres pièces plus tard dans sa carrière, Telemusik ne fait pas « voyager » les sons autour de l'assistance mais utilise plutôt chaque haut-parleur comme un lieu fixe d'où sortent certains sons et pas d'autres. Tout au long du concert, je cherchais à distinguer quel son venait de où dans l'espace de la salle.

Je n'ai pas fini. S'ajoute à ça le fait qu'on est dans un des planétariums les mieux équipés au monde. Je n'ai pas tout à fait compris l'explication de Frank J. Schäpel, mais il semble que Stockhausen avait donné certaines instructions visuelles pour la première représentation de Telemusik en 1966 et que la présentation d'hier s'en inspirait. Au dessus de nous donc, dans un dôme énorme, il y avait un ciel étoilé et pas n'importe quel. Au cours des 17,5 minutes de Telemusik, était projeté au dessus de nous le ciel entre Cologne (Allemagne) et Tokyo (Japon). Comme si, couché dans l'herbe une nuit de ciel dégagé à Cologne, je partais l'enregistrement de Telemusik et continuait à observer le ciel pendant que mon corps se déplaçait jusqu'à Tokyo. Sacrament.


Aries

Un trompettiste arrive maintenant sur scène. Au-dessus de lui, si j'ai bien compris, une vue du ciel pendant les ±90 journées que dure le printemps (la pièce Sirius fait référence aux saisons, et Aries en est un extrait de sa section dévouée au printemps). On voit donc un ciel étoilé immobile, traversé sur un grand arc par la lune dans ses différentes phases sur trois mois. Stockhausen a composé, en plus de la partition de trompette, une partition de mouvements à faire par l'interprète. Je commence à reconnaître le vocabulaire de mouvements de Stockhausen, toujours près du rituel. Ici, avec la projection, on aurait vraiment dit que le trompettiste choisissait à quelle étoile il s'adressait, levant la trompette selon un angle ou un autre vers la voûte.

Sirius est une oeuvre d'un peu plus d'une heure et demie qui se rapproche du théâtre musical, Stockhausen avait fait un rêve ou je ne sais quoi. On parle ici de l'étoile Sirius, qui pourrait être, selon certaines théories, le centre de l'univers. Les personnages sont les quatre points cardinaux, le matériel mélodique provient d'une autre série de pièces sur les signes du zodiac (regroupés par saison), il y a des types de relations humaines là dedans aussi, des étapes de la croissance d'un fruit, etc. On niaise pas sur le concept avec Stockhausen.

Aries est donc une partie de Sirius, celle occupée par la trompette et une trame électronique pour synthétiseur diffusée dans huit hauts-parleurs. Le trompettiste William Forman s'en est bien tiré, considérant le niveau technique incroyable de la pièce. En particulier, il faut se synchroniser avec une trame assez touffue et floue par moments, qui bouge dans tous les coins de la salle. Les moments où trompette et trame bougeaient ensemble (même à l'unisson pendant quelques secondes marquantes) ont été extrêmement bien réussis.

J'ai écouté Aries pour la première fois hier, sans en connaître les rouages internes. Il s'agit de mélodies plutôt complexes qui changent constamment de forme, se croisent, se répondent. On peut suivre le tout, de la trompette solo aux sons électroniques, entre les différentes couches d'électroniques, assez bien. Le sens de la structure de Stockhausen m'a encore une fois impressionné. De longues plages ou presque rien ne se passe, assez caractéristiques du style plus tardif de Stockhausen, côtoient des passages où on ressent toute la dentelle de la construction, sans jamais en distinguer les fils.


Cosmic Pulses

La pièce de résistance nous attendait au retour de l'entracte. Il n'y a presque rien à dire ici. Stockhausen imagine son propre système de 24 planètes et pendant plus de 30 minutes, celles-ci, représentées par des mélodies très complexes réalisées au synthétiseur, nous tournent autour de la tête. Chaque mélodie part du grave et se rend en une demi-heure à l'aigu. Impossible à suivre, la pièce est un chaos fascinant et exigeant d'où émergent parfois une ligne ou deux plus claires. J'ai écouté Cosmic Pulses assez souvent, et d'en faire l'expérience en surround guidera mes prochaines écoutes. Proposition radicale, appréciation radicale.




Invitations

Encore secoué par le concert, je rentre chez moi et découvre des beaux emails. Deux invitations de concert importants à Montréal et Québec pour l'automne prochain, une confirmation d'une session demain avec Klaus Kürvers (contrebasse) et Philippe Lemoine (sax).

Anecdote berlinoise

Essaye de trouver un petit paquet de kleenex à l'épicerie quand tu ne connais pas la langue. Je demande pour des Handtücher, la commis ne comprend pas trop, alors je mime le pollen (der Pollen, facile) qui entre dans mon nez, je fais le signe « attends peu, pas de trouble, j'ai un kleenex dans mon sac », je déplie le kleenex imaginaire d'un geste du poignet dans les airs, je me mouche avec. Ah! Je cherche des Taschentüscher, c'est par ici. Mon erreur : das Handtuch, c'est une serviette, genre serviette de bain ou linge à vaisselle; das Taschentuch, c'est ça le mouchoir, soit mouchoir de poche en tissus ou mouchoir jetable comme je cherchais.

Anecdote berlinoise

Dans l'autobus vers chez Achim avec mon gros violoncelle, ma valise, mon sac, j'échange des sourires complices avec les madames musulmanes, compatissantes sous leurs hidjabs, et je me dis que c'est un beau fuck you au racisme islamophobe du Québec. #radicalsoftness

Fun fact berlinois

Pour une ville où tout fonctionne aussi bien (transports en commun, technologies de la vie urbaine en général), l'internet n'est vraiment pas optimal. Ça fonctionne quand ça fonctionne, mais la connexion lâche tout le temps, il faut s'armer de patience et faire un peu de vaisselle le temps que ça reprenne, comme à l'époque du modem téléphone 56k.



Emménagé

Je finis d'écrire ceci alors que je suis arrivé chez Achim. Je n'avais demandé aucune photo de la place, je suis plus qu'agréablement surpris. 
La cuisine et le balcon
Ma chambre pour le prochain mois


31.05 

Ce soir je vais à un concert :

Carina Khorkhordina (trompette)
Eric Bauer (synth, objets)

Philippe Lemoine (sax)
kriton b. (daxophone)
Eric Bauer (synth, objets)

mardi 29 mai 2018

été 2018, jours 5-6-7/79

À Berlin depuis à peine une semaine et j'ai l'impression de n'avoir jamais quitté depuis 2015. Je suis chez moi ici plus que je le suis ailleurs. J'écris ceci en écoutant les Partita pour violoncelle solo de Philip Glass, je ne savais même pas que ça existait. Je pars dans quelques minutes chercher mon violoncelle au Geigenbauwerkstatt Julia Dimitroff.


Résumé des concerts vus en une semaine

29.05 ce soir
Dirar Kalash - solo - (multi?)
Liz Allbee - solo - (trompette)

27.05
Korhan Erel (électroniques)
Gunnar Lettow (basse électrique préparée, électroniques)
///
Nikolaus Neuser (trompette)
Richard Scott (synthé analogue modulaire)
Alexander Frangenheim (contrebasse)
///
Elo Masing (violon)
Hui-Chun Lin (violoncelle)
Caroline Cecilia Tallone (vielle à roue préparée, objets amplifiés)
Ame Zek (guitare 12 cordes préparée)
///
Ligia Liberatori (voix)
Davide Piersanti (trombone)
Philippe Lemoine (sax ténor)
Ulf Mengersen (contrebasse)
///
Harri Sjöström (sax soprano)
Chris Heenan (clarinette contrebasse)
Elena Kakaliagou (cor français)
Dag Magnus Narvesen (drums)
///
Creative Sources Imp!Orch

26.05
Harald Kimmig (violon)
Gerhard Uebele (violon)
Miguel Mira (violoncelle)
///
Ulrike Brand (violoncelle)
Olaf Rupp (guitare électrique)
///
Ganesh Anandan (shruti stick)
Marcello Lussana (électroniques, traitement sonore)
kriton b. (harmonium, objets amplifiés)
///
Carlos Santos (électroniques)
Carla Santana (synthé analogue, objets traités)
Thea Farhadian (violon amplifié)
///
Pedro Lopez (table tournante, perc)
Stephan Bleier (contrebasse)
///
Antonis Anissegos (piano)
Floros Floridis (sax alto, clarinette)
///
Klaus Janek (contrebasse)
Andrew Lafkas (contrebasse)

25.05
Michel Doneda (sax soprano)
Mazen Kerbaj (trompette)
Andrea Parkins (électroniques, objets, mélodicas)
Raed Yassin (contrebasse)

24.05
Bendik Giske (sax alto)
Constantin Hartenstein (performance)
///
Otis Sandsjö (sax)
Adam Pultz Melbye (contrebasse)
Dag Magnus Narvesen (drums)

Je transcris tout ça en prenant la mesure de la diversité des origines et des parcours qui se rencontrent ici sur scène. Je transcris en revoyant les concerts, la diversité aussi des propositions en musique improvisée. Les instruments... de la vielle à roue préparée, faut le faire. Il n'y a pas d'école de pensée ici, personne n'est là pour démontrer son talent ou en mettre plein la vue.


Une journée pas de plan, pause de concerts

Hier, je suis parti de chez moi pas de plan. Le temps est magnifique, chaque jour, mais cette fois c'était encore mieux. J'ai commencé par le Café Kanel juste à côté. Je recommence la lecture de Naked Lunch de William S. Burroughs, dans mon top 3 littérature depuis des années. Mon admiration pour son auteur augmente encore, incroyable. Il y a quelque chose de hachuré, un rythme serré dans ses énumérations, quelque chose d'impossible, intangible, saisissant dans sa structure, avec des mots qui ressortent et qui reviennent (par exemple : grey, spectral, anonymous)... tout ça me jette à terre. Je n'avais pas relu Naked Lunch depuis 6-7 ans certain, et mon niveau d'anglais d'aujourd'hui me permet d'en apprécier la grandeur plus que jamais.

Après quelques pages de Burroughs, je suis parti marcher sur Tempelhofer Feld, l'aéroport converti en immense espace vert juste à côté d'ici. J'ai commencé par chercher un bon spot à l'ombre, parce que ein le soleil tape. Au bout de 45 minutes de marche sans trouver l'ombre, je suis arrivé à Hasenheide Volkspark, où les arbres sont plus nombreux que sur une ancienne piste de décollage. J'y ai marché encore pendant 45 minutes avant de m'arrêter. Cette fois j'ai poursuivi ma lecture de IRL de Tommy Pico, un espèce de long poème épique écrit à moitié dans la langue des textos, une histoire sans trame narrative où je me reconnais souvent. J'ai eu des moments de contemplation au parc, je ne pense à rien et regarde les gens devant moi. Toujours à Hasenheide j'ai poursuivi ma lectrure de Surfacing de Margaret Atwood. Un roman qui se passe dans un petit village québecois, un père est disparu et sa fille est sur ses traces; ce livre ne changera pas ma vie mais l'écriture de Margaret Atwood, que je connais peu, m'impressionne.

Je suis ensuite passé manger au Hamy encore, pourquoi pas. Un autre 15-20 minutes de marche plus tard et j'étais au Silver Future pour un café de début de soirée. J'ai profité de l'internet pour régler quelques affaires : une demande pour l'EMIQ Ensemble de musique improvisée de Québec, calcul du loyer de ma sous-locatrice à Québec pour sa partie du mois de mai, répondre à Max le saxophoniste pour un concert ensemble à Exploratorium fin juillet, etc.

Anecdote berlinoise : S'acheter une bière au dépanneur vient avec le service de décapsulage. Une bière pour la route, du dépanneur à la rue, du trottoir au métro, du métro à mon coin de rue, des escaliers à ma chambre, de ma chambre au balcon, bien gentil de ma la déboucher.


Une question revient


Je ne fais jamais ça à Québec, partir pas de plan et passer une excellente journée. J'ai essayé. Est-ce que c'est moi qui change quand je suis à Berlin ou est-ce que c'est la ville qui demande à être dérivée?

samedi 26 mai 2018

été 2018, jour 4/79

Amitiés

J'ai rendez-vous avec la luthière Julia Dimitroff mardi le 29 mai, dans 3 jours. J'ai hâte de revoir sa grande cour intérieure, son atelier, boire un thé avec elle, discuter violoncelle et découvrir avec quel nouvel ami violoncelle de sa collection je vais repartir pour l'été.

Le concert d'hier au Sowieso, avec Michel Doneda (sax), Mazen Kerbaj (trompette), Andrea Parkins (objects, électroniques, mélodicas) et Raed Yassin (contrebasse), était époustouflant. Sans avoir joué une note de violoncelle depuis plusieurs jours, j'ai senti très précisément mon jeu s'améliorer juste à être là. Sur scène, il n'était plus question de « soliste » versus « accompagnement », tout s'emboîtait sans jamais devenir parallèle.

En discutant avec Raed après le concert, on s'est rendu compte de notre passion commune pour Stockhausen. Il vient du Liban et a mené un grand projet de recherche sur les concerts donnés par Stockhausen en 1969 dans les grottes de Jeita. Wow. Promesse de se revoir pour en discuter encore.

Deux nouveaux contacts dans mon cell : Sam, grand blond qui ne s'habille qu'avec des vêtements des années 1910-1920, et son ami Burak, qui passaient tous deux par là, en visite de Weimar, et se sont arrêtés pour un verre au Sowieso, ne sachant pas qu'un concert venait de s'y produire.

Politique et queer

Il y a demain une manifestation du parti politique de droite Alternative für Deutschland (AfD). L'AfD est connue pour ses positions anti-immigration, nationaliste identitaire, populiste de droite, etc. Et il y aura contre-manifestation. Comment je l'ai appris? Dans le magazine gay gratuit Siegessäule.

Je reviens ici sur un thème dont j'ai souvent parlé : la gauche politique et son expression dans la communauté LGBTQ+. La contre-manif de demain a pour sous-titre Pas de piste de danse pour les Nazis et elle est cosignée par près d'une centaine de bars, clubs, festivals. Traduction libre d'une partie de la description de l'évènement : « Nous sommes progressistes, queer, féministes, anti-racistes, inclusif.ive.s, coloré.e.s et nous avons des licornes. Sur nos pistes de danse s'unissent des gens de tous horizons, dont les désirs sont divers, les identités changeantes et qui ont du goût. »

Que les personnes LGBTQ+ soient aussi féministes, anti-racistes, etc. devrait être une évidence pour moi. L'expérience de t'être fait écoeurer juste pour qui tu es devrait être amplement suffisante pour écouter, comprendre et être l'allié.e de d'autres groupes mis en retrait. Il faut toutefois attendre d'être à Berlin pour constater que ma logique a du bon sens. Quand est-ce que le Drague à Québec va apporter sa bannière dans des manifs contre Atalante, la Meute, la droite qui coupe dans les services aux personnes à risque, etc.? Quand est-ce que le magazine Fugues va se déclarer queer et féministe et donner la parole à autre chose que le culte du corps d'homme musclé et blanc?

Je ne fais pas trop dans la politique au quotidien mais on dirait que ça m'apaise de savoir que des milliers de personnes seront présentes demain pour offrir un point de vue plus aimant, bienveillant, et que ces personnes seront soutenues par les propriétaires des endroits qu'elles fréquentent.

vendredi 25 mai 2018

été 2018, jours 0-1-2-3/79


25 mai 2018 : jour 3, maintenant

15 h 30

Je me lève tard, café chocolatine à la même place qu'hier; cette fois c'est direct deux chocolatines et un grand café. Mon ami.e Brigitte m'invite à aller chiller à Hasenheide, mais j'ai encore un petit contrat à faire pour Québec. Me voilà donc à l'appart.

Je suis passé à l'épicerie : pour 10€ j'ai des nouilles, de la sauce à spag, du pain, du beurre de peanut, du lait d'amande, un paquet immense de Hand Tücher (mini kleenex de poche, parce qu'ici le pollen... il faut être équipé), du thé au gingembre pour un mois et des céréales bio genre de mix Sugar Crisps et Croque nature (à suivre).

Plan du jour


  • finir le travail pour Québec
  • aller voir une partie du festival Creative Sources Recordings (l'étiquette de disque sur laquelle j'ai mon disque live en trio avec THUYA)
  • revenir au Sowieso voir le show de Michel Doneda. Oh et je viens de voir que le line-up a changé, ce sera Michel Doneda (sax), Mazen Kerbaj (trompette), Alexander Frangenheim (contrebasse), Raed Yassin (???) et Andrea Parkins (accordéon). Je suis un méga-fan de Andrea Parkins, belle surprise!

24 mai 2018 : jour 2, parcours


J'ai dormi 10 h.


Media Markt

Ce matin : une chocolatine et un café à la boulangerie du coin, puis la marche jusqu'au Media Markt (genre de Bureau en gros). Je réussis à me négocier un contrat de cellulaire en parlant uniquement en allemand. Bravo à moi, ça revient. Pour 10€ par mois, incluant la taxe de 19%, j'ai 300 SMS ou minutes de conversation + 1,5 GB de données. Prenons un moment pour rire des gens qui « profitent » de Fido Nomade avec lequel, pour « seulement » 12$ *par jour*, on a accès à son forfait régulier, c'est-à-dire, pour ma part, 100 minutes de conversation + 0,1 GB de données à 35$ par mois.


Vue du coin de rue Allerstr. / Schillerstr. où j'écris une partie de ceci avec mon café.

Hasenheide Volkspark

Je tente de laisser tomber les listes pour un instant et voir où mes pas me mèneront. À la chocolatine et café (deuxièmes du jour) bien sûr, où j'active facilement mon nouveau forfait de cellulaire. Puis à mon spot préféré au parc municipal Hasenheide où je poursuis ma lecture du superbe recueil IRL de Tommy « Teebs » Pico (du podcast Food4Thot). Les arbres, le ciel, les gens, tout est très relax ici.


Hami

Partir du parc avant de trop brûler au soleil. Un de mes restaurants préférés est juste à côté. Je me rappelle ces journées de travail au PornoKino (je passe devant, ils ont fermé cette succursale) et la fin se shift au Hami, fastfood vietnamien. Je prends comme d'habitude le gros bol de riz, légumes frais, sauce aux arachides à 4.90€.


Café K-Fetisch

Je cherche le magazine gratuit Siegessäule, où sont listés tous les évènements queer et plus encore. Je passe très près d'où j'ai habité 2015-2016 sur Framstraße. Tous mes repères. Le Silver Future où j'étais certain de trouver un Siegessäule est fermé, il est encore tôt. Je continue jusqu'au café K-Fetisch, anarcho-third-wave-hipster-mais-pas-trop. Ça fume à l'intérieur avec mon latte. Pas de Siegessäule, mais de l'internet. Il faut savoir qu'ici, avec les forfaits de données pas cher, il n'y a pas souvent de wi-fi dans les endroits publics.


Programme culturel

Je fais le plein d'internet : liste très fournie des concerts de musique improvisée pour les prochains jours, liste des concerts de classique (wow deux opportunités de voir du Stockhausen cet été, dont une au gros planétarium Zeiss en surround), quelques recommandations ça et là. Sur le profil de l'artiste Olympia Bukkakis, une invitation à un vernissage. J'y vais.


Gallerie im Turm

Je choisis de marcher une heure au lieu de prendre le métro. Vernissage de l'exposition de Andrew J Burford et Constantin Hartenstein, MIGHTY GOOD MEN. Questionnement autour des représentations hégémoniques de la masculinité. Beaucoup de bla bla très intéressant dans le programme de cette expo qui me touche peu finalement. Il y a une excellente perfo du saxophoniste Bendik Giske avec deux hommes en sous-vêtements : l'un est couché par terre sur le côté, l'autre monte complètement dessus, ses deux pieds sur sa tête. Tension parfaite. Ensuite quelques minutes de drag queens vraiment drôles : "Gallery Girls" de Pansy avec Lola Rose, Psoriasis et Gieza Poke. Je rencontre par hasard mon ami artiste visuel Markues. Promesse de chiller bientôt et aller visiter son atelier.

La performance au vernissage de MIGHT GOOD MEN.


LaBettoLab

En revenant, je tombe par hasard sur la danseuse Stefania Petracca avec qui j'avais mon duo Piolet-Traction. Quel adon! Elle est devant le LaBettoLab, spot italien éclectique avec beaucoup de musique improvisée. Promesse de reprendre notre projet dans deux semaines.


Sowieso

Je me dirige vers chez moi, puis je me retourne et décide d'aller voir s'il y a encore quelque chose au Sowieso, à 2 minutes de là. Eh oui, je pogne la fin d'un set *de feu* du trio Otis Sandsjö (sax), Adam Pultz Melbye (contrebasse), Dag Magnus Narvesen (drums). J'y rencontre par hasard Michel Doneda (sax) dans l'assistance, vu la dernière fois il y a à peine un mois... à Rimouski! Il me dit, Berlin, c'est l'université de la musique improvisée. Bien d'accord. Assez pour la journée.


Sowieso.



23 mai 2018 : jour 1, arrivée à Berlin en soirée

22 h 07 (heure de Berlin)

L'impression d'être parti de Québec ce matin, d'être entré dans un tunnel hors-temps, et de ne pas avoir dormi depuis une semaine. C'est peut-être un peu ça.
Les éoliennes en arrivant à Berlin!
Alex est venu me chercher à l'aéroport, on est allé déposer mes affaires chez Flatter et nous voici avec un morceau de pizza à Tempelhofer Feld.
J'ai cherché l'allemand pour « ressourcement ». C'est ce que je viens faire ici? Préparer une réponse. Selbstbesinnung est un peu trop intense comme mot.

Ma carte de guichet de la Deutsche Bank fonctionne encore, yes!

Et je commence déjà à faire des listes : 

  • aller me chercher un forfait de téléphone
  • faire une petite épicerie
  • éplucher le site echtzeitmusik pour les concerts de musique improvisée (j'en manque déjà 4 bons ce soir)
  • éplucher le Siegessaüle pour les sorties
  • me trouver un bicyk
  • répondre à Max pour un concert
  • aller me louer un violoncelle chez Julia Dimitroff

La nuit tombe sur Berlin, je cogne des clous. Le vidéo du Concert EMIQ X Corps Célestes XL au Morrin Center vient de sortir. Très très fier. Il n'y en aura pas de décalage horaire.


22 mai 2018 : jour 0, déplacement

16 h 05 (heure du Québec)

Dans l’autobus Orléans Express en direction de Montréal. Je ne sens pas encore que je pars. J’ai à m’armer de patience et de bonne humeur pour les prochaines heures. Tout de suite, ça fait plus de 30 minutes qu’on est parti du centre-ville de Québec et on n’est qu’à Sainte-Foy. Le voyage va être long. Il y a un homme à côté de moi sur le banc, il manspread autour du sac réutilisable qu’il a entre les jambes à ses pieds. Son t-shirt frôle mon t-shirt chaque fois qu’il tourne la page de sa revue 7 jours. Le trafic vers le pont est dense. Qu’est-ce que ça peut bien me faire?

J’écoute les arias et cantates de Barbara Strozzi enregistrés sur Spotify avant de partir (autrement bloqué sur le wifi de l’autobus). Le site blogspot est aussi bloqué. j’écris donc ceci dans un TextEdit on the side en attendant de voir si Fido et leur « contactez-nous par facebook » va finir par répondre. Qu'arrivera-t-il de mon forfait de cellulaire en mon absence.

Je n’ai pas trop réfléchi à ce qui m’attendait en terme de transport pour la journée, la nuit, le lendemain.

Compilation, 20 h à faire :
  • 15 h 30 - autobus Québec-Montréal aéroport - durée 3,75 h
  • 19 h 15 - attente à l’aéroport PET - durée 3,0 h
  • 22 h 15 - avion Montréal-Paris - durée 6,6 h
  • 4 h 50 - [10 h 50 h. locale] - attente à l’aéroport CDG - durée 4,6 h
  • 9 h 25- [15 h 25] - avion Paris-Berlin - durée 1,7 h
  • 11 h 05 - [17 h 05] - arrivée à Berlin

Impression de calculer ma feuille de temps au travail. Attendre à l’aéroport Pierre-Elliott Trudeau, la durée de mon shift du vendredi; le vol Paris-Berlin, la durée d’une classe de ballet.

Barbara Strozzi finit, je passe à Wayne Shorter dans l'autobus. Je commence à sentir le voyage, après 2 heures de bus. Fido répond à mes questions au compte-gouttes. Il sera bientôt temps de changer mon message de boîte vocale : « Bonjour, vous êtes bien dans le cellulaire de Rémy. Je suis à Berlin jusqu’au 8 août. Vous pouvez me joindre par facebook ou m’envoyer un email. »

Le monsieur à côté de moi me frôle encore et ça m’énerve. Il vient de s’engouffrer un couscous, là il se sort un sac de graines. Il est prêt, pas capable de s’arrêter de manger pour 2 heures. Ok, j’ai deux croissants dans mon sac, des Timbits, des légumes coupés et de l’humus. Je plaide coupable. La pancarte Montréal 131, je n’ai pas besoin de savoir l’heure.

Le temps est gris. À mon tour de manger haha. Je cherche l’adresse de Flatter pour la mettre dans ma poche avec les horaires de mes transferts et tout.

Dans mes bagages, quelques livres. Margaret Atwood, Benoît Jutras, William S. Burroughs, Sara Ahmed, Tommy Pico.


Air France : la vidéo des consignes en cas d'urgence est vraiment drôle (quoique sexiste, avec juste 5 femmes qui font des faces cute tout le long), j'ai eu du champagne, mais la bouffe était pas super.
Non ça ne m'a pas pris 52 minutes pour marcher vers mon vol à l'aéroport Charles-de-Gaule. Mais l'attente de près de 5 h, en apesanteur entre une nuit blanche et le dernier vol, a été longue.