lundi 18 janvier 2016

L'expérience berlinoise ultime

Je travaille dans un cinéma porno.
Je reviens d'aller visiter la Brandenburger Tor.
Je roule mes cigarettes.

L'expérience berlinoise ultime.

Alors que je m'apprête à écrire un des articles les plus intéressants de mon blog jusqu'à date, je suis distrait par l'état de mon téléphone. Je voulais illustrer ce qui suit avec plein de photos mais, au moment de les importer sur mon ordinateur, on m'a proposé de faire une mise à jour, j'ai accepté, un message d'erreur est apparu et je dois maintenant attendre que ça recharge avant d'opérer une résurrection potentielle, avec ou sans ce qu'il contenait avant.

J'ai tourné en rond pendant un petit moment, regardant, très déçu, l'écran figé de mon téléphone. J'étais tellement content des photos prises aujourd'hui! J'avais fait honneur à mes racines en prenant en photo des sites de construction, entre autres. La lumière était idéale. Enfin, aussi bien se mettre à écrire pendant que ça recharge. Au mieux, des photos illustreront ce qui suit ; au pire, je dois faire un reset et tout perdre. Et merde. [Note, quelques heures plus tard : j'ai en effet tout perdu, photos, contacts, applications, etc. Je vais m'en remettre, j'y travaille à l'instant.]

J'ai hâte de recevoir mon agenda! Il a été envoyé de Québec le 17 décembre et aura traversé l'Atlantique en bateau avant d'atterrir dans ma boîte à lettres. J'ai tellement de choses à écrire dedans et on dirait que je n'arrive pas à m'organiser autrement. J'ai bien commencé une liste dans un cahier quelque part, puis une autre liste ailleurs, mais je me dis que mon agenda arrivera « demain » et que ça n'aura pas valu la peine de mettre ces efforts dans un truc temporaire. Agenda google, non merci! Qu'est-ce que j'ai tant à écrire dans mon agenda? Les concerts auxquels je veux assister, les soirées à ne pas manquer, les concerts que je donnerai, les pratiques de la chorale, les dates du prochain voyage de chorale, la folie qui m'attend au mois de mars avec la tournée du GGRIL en France, les dates limites pour toutes sortes d'affaires, des rappels pour le paiement du loyer (300€ trois jours avant le 1er du mois), de mon cellulaire (9€ autour du 12 du mois), de la location de violoncelle (68€), de ma passe d'autobus (58€ le 2 ou 3 du mois) et... mon horaire de travail!

Je travaille dans un cinéma porno


1. Comment j'ai pogné la job


Qu'est-ce que c'est que ça? Eh bien, je suis ici pour essayer de nouvelles choses, en voilà une bonne. Un nouvel ami me disait l'autre jour qu'il travaillait à temps partiel comme caissier dans un cinéma porno et qu'une place était peut-être libre.

J'ai sauté sur l'occasion pour faire une version allemande de mon CV (avec beaucoup d'aide) puis je me suis présenté le lendemain même, le mercredi 6 janvier 2016, à la filiale du cinéma où je savais que le superviseur travaillait. Je lui ai remis mon CV en mains propre, lui ai fait comprendre que j'appliquais pour l'emploi (Ich bewerbe mich), on a parlé pendant deux minutes à peine puis j'ai obtenu un rendez-vous au « siège social » pour le surlendemain. Est-ce que j'ai mentionné que tout ça se passait en allemand? J'ai reçu un courriel de confirmation très officiel :
Sehr geehrter Herr Bélanger de Beauport,

wir bedanken uns hiermit für Ihre Bewerbung und das Interesse an unserem Unternehmen.

Sie haben unser Interesse geweckt und deshalb würden wir Sie gerne persönlich kennenlernen.

Wir laden Sie herzlich zu einem Vorstellungsgesprächein.
Das Vorstellungsgespräch findet am Freitag den 08.01.2016 statt.

Wir haben noch einen freien Termin um 14:30 Uhr.

Bitte kommen Sie in die Zentrale [...]

Wenn Sie den Termin wahrnehmen können oder nicht, dann lassen Sie es uns wissen.
Mit freundlichen Grüßen [...]
Le vendredi 8 janvier, j'ai donc eu ma première entrevue tout en allemand. C'était avec le superviseur que j'avais déjà rencontré et un autre, qui doit être plutôt aux ressources humaines et à l'administration. En tout cas, ce dernier avait trois téléphones différents sur son bureau. Je n'ai pas tout compris de l'entrevue, c'est certain, mais j'ai compris l'essentiel et ça me satisfait.

Parfois, quand je ne comprends pas trop ce qui se passe dans une conversation tout en allemand, je copie l'expression du visage des autres en opinant de la tête, en espérant que la phrase ne se terminera pas en question pour moi. En entrevue, ils n'y ont vu que du feu j'en suis sûr. De toute façon, pas besoin d'une si grande maîtrise de la langue pour opérer une caisse enregistreuse.

Je crois que toutes sortes de monde appliquent sur cet emploi, et c'est pourquoi, suite à l'entrevue, on m'a demandé de me présenter sur les lieux du travail pour voir ce qu'il en était. J'ai donc rencontré mon superviseur, pour la troisième fois en peu de temps, le mardi 12 janvier, au « cinéma ». Alors que je croyais qu'on voulait me présenter les lieux et me montrer de quoi avait l'air une soirée typique au travail, j'ai eu plutôt droit à un training en règle. Ça c'est la lumière, voici comment fonctionne le chauffage, le coffre-fort, la caisse, etc. Je prenais des notes et je ne me gênais pas, cette fois, pour faire répéter quand je n'étais pas certain de bien comprendre ; pas question de faire semblant quand il s'agit balancer la caisse ou utiliser la clé spéciale pour barrer la porte.

À partir de ce moment, il n'y avait plus que l'administration allemande qui pouvait m'empêcher de décrocher la job. J'ai assez travaillé fort pour avoir mon visa de travail (Arbeitsvisum) et mon enregistrement auprès des autorités locales (Anmeldung), il me fallait maintenant un numéro d'assurance-pension (Rentenversicherung)! Finalement, tout a fonctionné et j'ai signé mon contrat de travail (Arbeitsvertrag) le 13 janvier 2016. On m'a remis les clés du commerce.

Hier, dimanche le 17 janvier, j'ai effectué mon premier quart de travail. J'étais un peu nerveux, c'est quand même quelque chose de se retrouver tout seul lors de sa première fois, dans un autre pays, dans une autre langue, en veux-tu en v'là. J'ai débarré la porte, allumé les lumières, activé la caisse, la radio, le chauffage, fait mon ouverture du coffre-fort, compté l'argent, etc. Puis, à la fin, j'ai fait mon rapport de caisse, mon dépôt dans l'autre coffre-fort, ramassé ce que j'ai pu et tout fermé avant de verrouiller la porte et la porte coulissante de sécurité. On me pardonnera d'avoir oublié d'éteindre l'enseigne dehors, il faut bien que je me laisse place à l'amélioration!

Les conditions de travail sont au minimum : je travaille à 8,50€ de l'heure, 53 heures par mois, pour un total de 450€ par mois, payable en un seul versement à chaque 15 du mois. Dans le dédale administratif allemand, on appelle ce type d'emploi Mini-Job.

L'horaire de travail est parfait, de 14 h à 22 h, et je travaillerai donc entre deux et trois jours par semaine. Je me suis engagé à honorer le contrat jusqu'à la fin de mon séjour en Allemagne.

2. Ce que je fais et de quoi ç'a l'air là dedans


Eh bien, ça prend un peu d'ouverture d'esprit pour la suite. Le commerce est réservé aux hommes. Quand le client entre, il se retrouve dans la partie sex shop. C'est là que je travaille, assis à la caisse. Puisqu'une de mes tâches est de faire l'inventaire (Inventur) à chaque quart de travail, j'ai fait le tour de ce qu'on vend hier pour la première fois. Il y a pas mal tout ce que ça prend pour avoir une chaude rencontre, seul, avec un autre ou avec plusieurs autres : revues porno, condoms de toutes sortes, à peu près 10 marques de lubrifiants différents, un grand éventail de DVD, des cockrings, des dildos, etc. Il y a aussi un frigidaire avec de la bière (Beck's, Beck's Gold, Beck's Green Lemon, Beck's sans alcool, Berliner Pilsner), du fort (Jägermeister en petits formats, canettes de Jack Daniel's Whiskey Cola, de Jim Beam Bourbon Cola et vodka en petits formats) et autres rafraîchissements (thé glacé, eau, Coke zéro, Coca Cola classique, etc.). Je vends aussi du café et des briquets.

Les clients ne restent pas vraiment longtemps dans cette partie sex shop du commerce. Ce qui les intéresse, c'est ce qui se passe de l'autre côté de la porte du fond. Ils se procurent donc une entrée auprès de moi (Tageskarte, carte pour la journée, 10€), je leur débarre un casier où ils peuvent laisser leurs affaires en toute sécurité, puis ils vont s'amuser.

Derrière la porte du fond se trouve un espace qui, je crois, serait tout à fait illégal au Canada, sachant que je vends de la bière à l'entrée. Quand j'ai entendu parler du cinéma porno pour la première fois, je m'imaginais une salle de cinéma régulière, avec un grand écran et des films porno. Ce n'est pas ça du tout. Derrière la porte du fond, ll y a une vingtaine de cabines de visionnement, disposées autour et au centre de deux salles. Il y a aussi un divan. Ce n'est pas très grand tout ça, chaque cabine a environ la taille d'une cabine de toilette de centre d'achat, pour donner une idée. Tout est peint en rouge et l'éclairage est assez sombre. Chaque cabine a sa télé, chaque télé a son porno gay. Chaque cabine a son petit banc, sa petite poubelle et son distributeur de kleenex.

Il y a aussi des trous dans les murs des cabines, et je crois que c'est ce qui attire le plus les gens. Je ne suis pas allé voir ce qui se passait derrière la porte du fond pendant mon quart de travail mais je n'ai pas trop de difficulté à me l'imaginer. Premièrement, l'odeur de cigarette qui y régnait quand j'ai fait la fermeture, malgré le petit nombre de clients, m'a confirmé qu'il doit y avoir beaucoup d'attente et assez peu d'action. Les gars restent là pour deux ou trois heures, fument cloppe sur cloppe, entrent et sortent des cabines et espèrent voir quelqu'un d'intéressant. Avec un peu de chance, cette personne prend place dans la cabine voisine et il est alors possible de l'observer par le trou. Et le trou est assez grand pour que ce ne soit pas que le regard qui y passe.

Pendant leur séjour au cinéma, certains viennent me voir pour se procurer une bière ou un café, d'autres passent la porte la porte du fond et n'en ressortent que pour quitter l'endroit. Il s'agit d'un public d'hommes d'un certain âge, et je crois que venir au cinéma porno représente pour eux un bon moment, une façon de vivre leur sexualité sans gêne et dans le respect. L'ambiance de travail est bonne, les clients sont satisfaits! Les choix de radio satellite sont par contre vraiment désolants, mais j'avoue que même si je pouvais choisir la musique je ne saurais pas trop ce qui convient.

3. Pourquoi ça me tente de faire ça


Quand je décris ce travail comme « l'expérience berlinoise ultime », c'est avec un brin d'humour bien entendu, quoique la ville ait une réputation d'ouverture au niveau des pratiques sexuelles. Un tel commerce serait impensable au Québec, à mon avis, tant aux points de vue légal que culturel. Par culturel, je veux dire que, selon moi, les gens au Québec auraient tellement peur de se faire juger s'ils se faisaient prendre à aller dans un tel endroit qu'ils n'oseraient jamais y entrer. Les saunas gays ont peut-être cette fonction au Québec, mais j'imagine que c'est différent parce qu'il y a toujours le prétexte du « sauna » et, fait important, on n'y vend pas d'alcool. Autre culture, autre moeurs, voilà une des raisons qui m'ont donné envie de travailler là.

Ce qui m'intéresse le plus de ce travail par contre, ce n'est pas la découverte culturelle. Ce qui m'a attiré en premier lieu, c'est qu'il s'agit d'un travail où on est payé, grosso modo, à ne rien faire. Puisque je suis à Berlin pour réfléchir à mon affaire et organiser la suite des choses, une job où on a plein de temps pour le faire me semble idéale. Au delà de l'ouverture, l'inventaire et la fermeture, mon travail consiste à prendre quelques secondes pour accueillir les clients (Hallo!), les faire payer (10€, danke schön) et leur souhaiter une bonne soirée (Viel Spaß!). Le reste du temps, c'est à moi de l'occuper et je n'aurai pas de misère avec ça.

Chaque quart de travail devient donc un espèce de rendez-vous avec moi-même. Je suis pris là, 8 heures de temps, sans ordinateur, sans internet, et je compte bien en profiter. Pas question de faire mon mot croisé en regardant les secondes passer, lecture et écriture seront au menu. Déjà hier, malgré que c'était une première, j'ai écrit un petit poème et rempli une page complète de chiffres, ce qui m'a pris plusieurs heures et a donné un résultat intéressant. Ça m'a donné envie de réfléchir à la notion de processus, en musique et ailleurs en art. À suivre.

Une autre des raisons qui m'ont fait pencher pour ce travail, c'est le contraste avec ce que je faisais avant. Au cours des dernières années, je me suis parfois dit que je serais peut-être plus heureux avec un emploi moins prestigieux mais plus de temps à consacrer à la musique. Depuis que je ne travaille plus, c'est une pensée qui revient de plus en plus souvent. Je me dis qu'au lieu de travailler 60-70 h par semaine et être payé 28 h au gros salaire, je pourrais peut-être travailler 25-30 h par semaine au salaire minimum, être payé pour chacune de ces heures, et disposer du reste de ma vie pour faire ce qui m'intéresse vraiment. C'est une option, il faut bien l'essayer pour voir.

De plus, jusqu'à date, je n'ai pas envie d'être défini par mon travail. J'ai entendu souvent à Rimouski « Je te présente Rémy, il est prof de math. » et ça ne me convient pas. Ça ne me décrit pas. Dans le cas de mon travail au cinéma porno à Berlin, personne ne me présentera en disant « voici Rémy, il est caissier au cinéma porno. » La  limite est claire entre travail et identité. J'ai été agréablement surpris, l'autre jour, lorsqu'une nouvelle amie m'a dit avoir parlé de moi à des amis en disant « il est musicien ». Voilà qui me va mieux.

Je suis donc à Berlin pour essayer des choses, voilà une bonne occasion d'essayer une job avec peu de responsabilités et dont chaque heure de travail est payée. Ajoutons à ça qu'il s'agit d'une job qui me laisse plein de temps, pendant que je travaille, pour lire, écrire et penser. Je suis content de mon nouvel emploi!

Je viens d'aller visiter la Brandenburger Tor


Le cinéma porno ne m'empêche aucunement de continuer les démarches pour être pianiste pour des classes de ballet, bien au contraire. Aujourd'hui, j'avais une entrevue dans une école professionnelle. Ça s'est très bien passé mais je préfère ne pas trop en parler, ni même trop y penser. La glace est brisée, voyons voir si les autres étapes suivent. Reste que la journée était radieuse, je revenais d'une entrevue pendant laquelle j'avais pu jouer un peu de piano à queue dans un grand studio danse et je me sentais léger. J'ai -- enfin -- eu envie d'aller voir la plus grande attraction touristique de Berlin.

J'ai consulté la carte sur mon téléphone et je me trouvais à 35 minutes de marche de la Brandenburger Tor, j'ai décidé de m'y rendre à pied.

Ici, c'est toutes les belles photos que j'ai prises mais qui ont été effacées lors de la mise à jour de mon téléphone.

Vraiment déçu! C'était beau.

Je roule mes cigarettes


À Berlin, ça fume. Ça fume dans les bars, dans plusieurs cafés, dans certains restos, dans la rue, dans certaines stations de métro, etc. Plusieurs fumeurs, si ce n'est pas la majorité, roulent leurs cigarettes. J'ai décidé d'essayer ça et je m'en viens pas mal bon. Ce qui me plait particulièrement ici, c'est qu'on a accès à du tabac, du papier et des filtres de cigarettes biologiques et écologiques. Ça fait longtemps que j'en parle : alors qu'on a accès à de plus en plus d'aliments bio, sans additifs, etc., alors qu'on a même du vin bio, du café équitable depuis longtemps, il semble qu'il n'y a rien à faire pour le tabac au Canada. J'avoue que j'ai de la misère à m'imaginer un groupe de fumeurs qui manifesterait sur la place publique pour du meilleur tabac. En tout cas, ici, on a tout ce qu'on veut. Ces temps-ci je fume du tabac 100% vegan sans additifs, avec des filtres écologiques biodégradables. Tant qu'à fumer.







Aucun commentaire:

Publier un commentaire