lundi 11 janvier 2016

Olympia Bukkakis. Dilly Dally. Réflexions sur la structure musicale suite au concert de Thomas Lehn et al. Une citation de Courtney Love.

Depuis que je suis arrivé à Berlin, plusieurs personnes m'ont fortement recommandé d'aller à Gegen. Il s'agit d'une soirée qui revient à tous les deux mois, qui ne semble se terminer que bien tard dans la matinée du lendemain et dont la description, qu'on peut lire sur leur site internet, semble tout droit sortie d'un travail universitaire de baccalauréat en études du genre, première année. J'exagère à peine, chaque instance de Gegen vient avec son essai philosophico-queer examinant une facette du « problème » capitaliste, sexiste, hétéronormatif, etc. Sans en faire mon pain quotidien, je trouve pour ma part ces réflexions intéressantes. Je penche également en faveur de se servir de la promotion d'un party pour être un peu subversif et pousser ses idées ; ça met la table et donne tout de suite une bonne raison de virer quelqu'un qui aurait un comportement inacceptable selon ces principes. Je pense par contre qu'on retrouve probablement plus de cuir, de lycra et de barbes de hipsters que de citations de Judith Butler un coup rendu sur place.

Tout ça pour dire que j'ai encore manqué Gegen, qui était vendredi passé. Il me faudra attendre au mois d'avril pour (manquer encore?) la prochaine édition. J'ai manqué Gegen parce que ça ne me tentait pas de me retrouver dans le noir avec du monde en sueur, du gros techno à défoncer les tympans et un taux d'oxygène dans l'air qui fait probablement peur. J'ai manqué Gegen, dont je rêve de voir des émules à Montréal ou à Québec, mais je ne regrette rien car j'ai passé une excellente fin de semaine.

J'ai continué à faire ce que j'ai vraiment envie de faire, sans suivre le mouvement trop trop. J'ai été à The Club vendredi soir voir Olympia Bukkakis. J'ai été à Rosi's samedi soir voir Dilly Dally. J'ai été à l'Exploratorium dimanche soir voir Tiziana Bertoncini, Thomas Lehn, Urs Leimgruber et Andreas Willers.

Olympia Bukkakis


Plus ça va, plus je l'aime cette drag queen là. J'ai été la voir pour la première fois en octobre passé, alors que je venais de déménager pas loin de The Club, et j'ai tout de suite aimé ce qu'elle propose. Il s'agit d'une ambiance dépouillée : pas de décor autre qu'un divan sur une petite scène, pas d'éclairage sauf un spot et quelques lumières d'ambiance, pas de micro et un système de son vraiment pas très puissant. La formule est simple : Olympia arrive vers 22 h 30 ou 23 h, fixe le public dans les yeux jusqu'à ce que tout le monde se taise, se met à parler de sujets d'actualité, dérive sur des histoires personnelles super cocasses, insère sa critique du monde, puis fait une première chanson en lipsynch avec des accessoires du bord (vendredi passé, elle a utilisé un ouvre-bouteille de vin pour mimer une flûte à bec et un verre vide pour mimer la tête d'un amoureux imaginaire) ; il y a ensuite une pause et une drag queen invitée vient faire une chanson ; il y a une dernière pause et Olympia Bukkakis revient nous parler un peu avant de faire un dernier numéro.

Olympia Bukkakis, trash drag par excellence.
J'ai trouvé la photo sur un site que je n'ai pas pu référencer.
Il y a une entrevue en profondeur sur un blog.
Ce que j'aime principalement de cette soirée du vendredi, outre le fait qu'on se sente comme dans le salon de quelqu'un, c'est l'humour. Il s'agit d'un humour vraiment intelligent, ironique et basé sur une vision féministe de la société. Rien à voir avec les drag queens de Montréal, même les meilleures, qui cultivent le rire gras de leur public en ridiculisant tout le monde et en faisant souvent des commentaires problématiques pour les personnes trans. Lors de la Journée du souvenir trans, Olympia Bukkakis, elle, a interrompu son show pour lire, pendant 20 minutes certain, la liste de toutes les personnes assassinées au cours de l'année à cause de la transphobie.

Vendredi passé, Olympia a commencé son show en faisant une joke que personne n'a comprise, basée sur une pièce de théâtre obscure de Shakespeare, elle a ensuite parlé de sa soirée du nouvel an au Berghain avant d'enchaîner sur la querelle entre Sinead O'Connor et Miley Cyrus. High- and lowbrow comedy. Une excellente façon de passer mon vendredi soir encore.

Dilly Dally


J'ai vu une invitation pour le show de Dilly Dally passer sur facebook en début de soirée vendredi passé et c'est ce qui m'a confirmé que je n'avais pas envie d'aller à Gegen. Je ne connaissais pas Dilly Dally, mais j'ai tellement aimé ce que j'en entendu à ce moment que j'ai décidé de prendre ça cool avec la soirée d'Olympia Bukkakis et être frais et dispo samedi soir pour le show de Dilly Dally.

Il s'agit d'un band de Toronto et c'est, à date, ma découverte de l'année. La voix de la chanteuse est fantastique. Aux néophytes, elle peut rappeler Courtney Love, mais je ne suis pas d'accord. Elle me rappelle plutôt un peu la voix de Jean Smith de Mecca Normal, un peu la voix de Kathleen Hanna de Bikini Kill, un peu l'attitude de Annie-Claude de Duchess Says. Le tout supporté par des tounes qui sonnent, avec des beats de drum intéressants, des patterns de guitare et de bass qui rentrent, etc.


Après le show, les gens sont restés longtemps sur le dancefloor. On a dansé sur NIRVANA, entre autres. Ç'a fait du bien, d'entendre enfin le son de la guitare sur les platines du DJ.

Réflexions sur la structure musicale suite au concert de Thomas Lehn et al.


Puis dimanche soir, j'ai été à un concert de musique improvisée renversant. J'avais vu Thomas Lehn lors de son passage à Rimouski dans le cadre des Rencontres de musiques spontanées et je me rappelais que j'avais aimé ce qu'il proposait, sans toutefois me rappeler ce que c'était exactement. Hier, dimanche, je n'ai pas été déçu. L'Exploratorium organise une série de concerts Improvisation International et c'est dans le cadre de cette série que j'avais vu Joëlle Léandre le mois passé. Cette fois, il y avait deux duos au menu : Tiziana Bertoncini (Italie, violon) avec Thomas Lehn (Allemagne, synthétiseur analogue) et Urs Leimgruber (Suisse, saxophones) avec Andreas Willers (Allemagne, guitare électrique). Chaque duo a joué environ 45 minutes sans interruption, et dans les deux cas ça m'a fait réfléchir à l'idée de structure musicale.

Il y a beaucoup trop d'improvisations qui commencent tout petit, à tâtons, qui se poursuivent en gonflant jusqu'à temps d'atteindre un point culminant et qui se nous amènent à la fin, immanquablement, par une redescente interminable. Lors d'une classe de maître donnée à McGill il y a plusieurs années, Jean Derome avait appelé cette structure, non sans sarcasme, Orgasm Form. Toujours à McGill, le professeur de théorie musicale Bill Caplin a quant à lui fait toute une carrière autour de la définition des beginnings and endings, en musique classique, codifiant leurs caractéristiques soi-disant universelles. Quand je pense cette à thématique, je ne peux m'empêcher de penser également à Karlheinz Stockhausen qui, avec sa pièce Momente, par exemple, propose une structure qui n'a pas de « début » ou de « fin » au sens classique du terme -- pas d'Orgasm Form tel qu'évoqué par Jean Derome, qui n'est tant qu'à moi qu'un pâle reflet de cette structure conventionnelle, une fois réalisée en musique improvisée. Stockhausen dit de sa musique, du moins pour Momente et quelques autres pièces, qu'on peut s'imaginer un appareil radio qu'on allumerait : la musique était déjà là avant qu'on arrive, et on est soudainement plongé, en tant qu'auditeur, en plein dedans, sans introduction ; on éteint ensuite la radio : la pièce s'arrête sans crier gare, plutôt que de se terminer de façon conventionnelle.

C'est donc la double dualité start vs begin, stop vs end qui m'intéresse. Ce n'est pas la première fois que j'y pense et je ne suis certainement pas le premier à y penser! Il me semble que, si une pièce peut être séparée en plusieurs sections plus ou moins définies, on pourrait se demander, pour chacune de ces sections, de quelle façon elle a commencé (start ou begin) et de quelle façon elle a fini (stop ou end). Je ne trouve pas les mots français qui correspondent à ça. Start, c'est si comme la pièce commençait en plein milieu, comme si on allumait la radio et le programme était déjà commencé. Begin, c'est quand on a une introduction, quelque chose qui nous met dans l'ambiance afin de débuter le voyage musical. De la même façon, stop c'est quand la pièce se termine abruptement, au milieu d'une respiration ou presque, et end c'est quand on nous dirige lentement vers la fin du voyage.

Dans le cas de la prestation de Thomas Lehn, on a commencé sur un start : il a envoyé des sons de synthétiseur contrastés, la violoniste embarquant là dedans tant bien que mal, et on était tout de suite dans la musique. Il y a ensuite eu plusieurs sections, certaines commençant abruptement comme le début de la pièce, d'autres suivant comme le modèle réduit du Orgasm Form. Au final, tout ça a donné une très longue pièce, comme une mosaïque de plusieurs évènements, plusieurs ambiances, où le duo se rencontrait souvent. On sentait que Thomas Lehn menait la barque, et c'est lui qui a terminé, presque en solo, la pièce sur un end : les sons étaient de moins forts, de plus en plus réguliers. Et puisque cette dernière section suivait une autre section qui avait eu un end évident, j'ai eu vraiment l'impression d'être dans la Coda, ce que Prof. Bill Caplin aurait appelé the end after the end, ou quelque chose comme ça.

Dans le cas de Andreas Willers, leur prestation a plutôt commencé sur un begin : ce n'était pas très fort, le guitariste faisait un petit gossage bluesé, le saxophoniste était dans le suraigu à peine audible. Après plusieurs minutes de ça, découpé en sous-sections, il y a eu comme une déferlante soudaine de distortion et c'est devenu très fort et intense : start. C'est là que j'ai vraiment embarqué dans la musique, le guitariste s'est mis à faire toutes sortes de simagrées, il a même fini par sortir une plaque de tôle et se frapper la tête avec, etc. de façon tout à fait musicale évidemment. Ce qui m'a le plus intéressé de leur prestation -- et c'est maintenant que je m'en rends compte -- c'est le rapport entre les deux musiciens. Le saxophoniste, tant qu'à moi, faisait un peu tout le temps la même affaire. Le guitariste, quant à lui, m'a semblé faire à peu près tout ce qui est possible et impossible de faire avec une guitare électrique. Mais tout ça ensemble a vraiment fonctionné, comme si les différentes ambiances et attaques de guitare permettaient d'entendre le jeu du saxophoniste d'une autre façon, sous un autre éclairage, un peu comme si on lisait le même poème plusieurs fois mais en changeant l'accompagnement musical. Enfin, le saxophoniste était loin de tout le temps faire la même affaire, et le guitariste était loin de se camper dans un rôle d'accompagnateur tout le temps, mais c'est une impression générale que j'ai eue et qui m'a intéressée : le saxophoniste tenait son bout, en restant de long moments sur la même idée, mais tout ceci semblait en transformation constante, à travers l'interaction de la guitare.

En fin du compte, j'ai vu hier des musiciens vraiment intensément plongés dans leur art et qui m'ont servi des mets de haute gastronomie musicale. J'ai fini la soirée en rejoignant une fille de Montréal que j'ai rencontrée. On est allé dans un petit bar où ils ont joué du Sonic Youth et du L7. C'était super de parler québecois ici pour la première fois, on s'est promis de s'y retrouver dimanche prochain.

Une citation de Courtney Love


Encore elle! J'ai écouté une entrevue qu'a donnée Courtney Love la semaine passée. Un moment donné, elle parle de son expérience, de comment elle est devenue qui elle est. Elle dit que, selon elle, Lana del Rey a la même attitude et que c'est ce qui fait que ça marche pour elle aussi. J'ai été réécouter, car ça me trotte dans la tête depuis en fin de semaine. Elle dit, en parlant de Lana del Rey :

« And she's just... got a thing! She changed her name from Lizzy, whatever it was, and then she became Lana del Rey and she came into herself. She knew where she belonged. And that's the thing I think we have in common, is that we both understood where we belonged in the marketplace, in the sense of... not selling out, not doing anything that we wouldn't normally do, not pandering... I don't pander, but I do understand there's a market. »

Comme toujours, tout ce qui sort de la bouche de Courtney Love est un peu difficile à suivre. Elle continue, après plusieurs (plusieurs) diversions. L'intervieweuse lui demande si elle a des conseils à donner, elle répond :

« Just envision, and I think you understand me when I say this, envision where you belong and go there. Do you know what I mean? Lana does that. I did that. »

Et un peu plus loin :

« You just have to have that sense of manifest destiny. »

Courtney Love en 2016, trouvé ici.
Envision where you belong, and go there. Preach!



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